Patrimoine

Rousseau identifie la perfectibilité et l’historicité comme étant les deux caractéristiques essentielles distinguant l’homme de l’animal.

La perfectibilité de l’homme se trouve liée à sa capacité de s’arracher à la nature, de développer petit à petit une culture et une moralité tendant vers la sagesse et la vertu.

L’homme est en outre doté d’une double historicité, individuelle et sociale, dans le sens où ce développement dépend de ses conditions de vie individuelles et sociales.

 

La perfectibilité rend possible et nécessaire l’éducation, se confondant, au sens général, avec l’histoire personnelle.

La perfectibilité et l’historicité de l’homme fondent sa diversité.

La diversité est communément reconnue pour prévenir la tyrannie (Montesquieu), pour engendrer la tolérance et la paix (Voltaire), pour engendrer la richesse, la complémentarité et la coopération (Rousseau).

 

L’école dite républicaine, pourtant, dans son élan d’égalité, a du mal avec la diversité. Afin de garantir l’égalité des chances, elle privilégie la neutralité. C’est bien pour cela qu’elle a tendance à être entièrement dans la transmission. Elle ne veut pas entendre ce qu’elle n’a pas donné elle-même. C’est pourquoi elle emploie des enseignants (du lat. insignare, marquer d’un signe) appelés à tout donner et à ne rien entendre, à donner (enseigner) plutôt qu’à prendre (apprendre). L’école en reste dans l’artifice le plus total, car tout ce qu’elle demande aux élèves, c’est de produire ce qu’elle sait déjà, de rendre ce qu’elle a donné. Elle ne veut rien savoir des histoires de ses élèves et de son personnel. Elle ne veut savoir que ce qu’elle sait déjà. Autrement dit, elle reste dans l’ignorance.

Il ne faut pas s’étonner qu’en s’y prenant ainsi, cette école-là souffre de la démotivation et de l’indiscipline de ses élèves.

Elle n’est pas dans l’élégance, mais dans la lourdeur. Elle n’est pas dans le travail, mais dans le labeur.

Cette école installe chez les jeunes gens un sentiment perpétuel de manque. Elle est, comme dirait Comte-Sponville, dans l’espoir et dans le regret, au lieu d’être dans l’amour. L’élève est marqué par la peur et le regret, peur de ne pas être à la hauteur des prochaines épreuves et regret de ne pas avoir travaillé davantage pour les précédentes.

 

Le lycée Ermesinde veut renverser cette tendance, en misant sur la diversité de ses élèves, sur ce qu’ils ont à apporter, dans l’intérêt de la communauté et. donc, dans leur propre intérêt. Le principe fondamental du lycée Ermesinde consiste à déployer et à exploiter la diversité de ses élèves, diversité de talents et diversité d’histoires.

 

Le lycée Ermesinde n’a pas seulement pour but d’orienter les élèves vers la place qu’ils auront intérêt à occuper après. Il les oriente d’emblée, en les « plaçant » dès le départ dans les domaines où ils semblent les plus forts, en les attendant là où ils peuvent fournir le plus facilement et le plus utilement. Cela s’applique évidemment dans les entreprises et dans les travaux personnels, mais aussi dans les cours. Il en résulte cette belle complémentarité dont parle Rousseau, facteur d’enrichissement et de satisfaction.

 

Les branches interdisciplinaires ont pour mission d’éclairer les enjeux de notre temps et de proposer des solutions. Elles ont de ce fait la mission de munir les élèves d’une solide culture générale dans le sens d’une connaissance approfondie de notre patrimoine.

Or, au lieu de livrer le patrimoine, elles partent du principe que le patrimoine est déjà là, qu’il réside dans la diversité des élèves, dans leurs histoires personnelles, dans leurs talents, dans leurs connaissances et dans leurs ambitions.

Il suffit, pour le faire apparaître, de demander, en réunissant les élèves autour d’une question et en les saisissant de l’enquête.

Le mot du directeur : intérêt

Étymologiquement, le terme d’« éducation » est intéressant. Il vient de educare, ce qui signifie littéralement « conduire hors de ». Mais hors de quoi ? Hors de l’enfance ? Hors de l’ignorance ?

 

Une autre interprétation peut être avancée, permettant mieux de comprendre une composante essentielle de la pédagogie du lycée Ermesinde, à savoir celle consistant à prendre comme objet de l’éducation non pas l’élève mais le savoir ! L’éducateur, au lieu de tirer l’élève hors de l’enfance par le savoir, s’applique à tirer le savoir de l’élève. L’expérience des branches interdisciplinaires et des entreprises du lycée Ermesinde montre que l’élève a tout à offrir et s’élève en allant chercher les savoirs et en les produisant, plutôt qu’en les consommant.

 

La condition en est qu’il y ait une forte demande, une demande réelle et sincère. L’éducateur, au lieu de donner, compte sur les élèves pour nourrir ses propres intérêts. Au lieu d’être dans l’offre, il est dans la demande. Son engagement, loin d’être désintéressé, consiste à s’enrichir et à se cultiver grâce aux apports des élèves. Son intérêt consiste à questionner et à écouter. Sa mission consiste à s’intéresser, dans son propre intérêt.

 

On pourrait alors en effet qualifier le métier d’éducateur comme le meilleur du monde, comme on l’entend parfois. Être payé pour se cultiver, voilà qui est réellement intéressant !

 

Or il n’y a pas d’intérêt mieux partagé que cet intérêt que l’éducateur porte à l’élève. Plus l’éducateur attend des élèves qu’ils lui livrent des contenus intéressants, mieux il sera servi et mieux se portera l’élève. C’est en donnant que l’élève apprend et c’est pour donner qu’il apprend. Du moment qu’il se sait attendu, il se sent utile. Il ne demande pas mieux que d’avoir un rôle à jouer !

Ainsi l’intérêt de l’éducateur est bien dans l’intérêt de l’élève.

Le mot du directeur : Service

Au lycée Ermesinde, le service est la clé de l’apprentissage. L’élève prend l’habitude de se mettre au service des autres. Dans l’entreprise, son destinataire n’est pas seulement le public ou la clientèle, mais aussi ses jeunes collègues qu’il est appelé à initier. La même chose vaut pour les engagements dans les maisons. Chaque élève se met, dans ses deux branches de prédilection, au service de ses collègues, dans la classe et dans les études.

Aider quelqu’un profite évidemment à l’autre, mais encore plus à soi-même, car il n’y a guère de meilleure méthode pour éprouver et renforcer son propre savoir que de tenter de le transmettre.

 

Les études sont entièrement consacrées à la coopération et à l’entraide. Les élèves engagés y coopèrent pour effectuer leurs recherches et pour préparer leurs interventions. De plus, ils se tiennent disponibles pour aider des élèves qui ont des difficultés ou qui veulent s’exercer.

 

Cette pratique est très éloignée des devoirs à domicile que les élèves sont censés faire seuls à la maison sous la férule de leurs parents. La coopération a ce grand avantage d’être autrement plus motivant que le travail forcée et solitaire. L’apprentissage qu’elle implique est généralement plus rapide et plus durable.

 

Le mot du directeur : Gratuité

Il y a des mots que l’air du temps fait souffrir. La « gratuité » est un mot particulièrement malmené par l’économie d’aujourd’hui. Sa signification, devenue largement monétaire, a malheureusement enfoui sa splendeur originelle. S’il est légitime aujourd’hui de se méfier de tout ce qui est gratuit, le sens originel du terme relève d’une innocence aussi noble que suave.

Gratis (de gratiis) désigne les choses qui sont grata. Or il n’y a guère de terme plus somptueux que gratus. Voyez un peu ses significations selon Gaffiot : agréable, bienvenu, aimable, charmant, ce qu’on accepte avec plaisir et reconnaissance, cher et précieux.

Ce qui ne coûte rien apparaît donc comme ce qu’il y a de plus précieux. Ce qui n’a pas de valeur monétaire est ce qui a le plus de valeur. Ce qui est gratuit est libre et désintéressé, par opposition à mercennarius, c’est-à-dire au coût et à l’intérêt. Ce qui est gratuit relève de cette grâce des jansénistes qui ne dépend pas de nous et qui est indépendant de nos mérites.

La gratuité en devient parent de la liberté, de l’insouciance et, finalement, de la beauté, par opposition à ce qui relève de notre responsabilité, au principe réel qui veut que nous ne restions pas inactifs, à notre sens moral, à notre conscience lourde et redoutable.

L’analogie peut être faite avec les branches disciplinaires et interdisciplinaires du lycée Ermesinde. Les premières, c’est-à-dire les langues et les mathématiques, et les secondes, les sciences humaines et naturelles, appartiennent à deux registres différents. Or ces deux registres sont complémentaires, car l’homme a besoin de beauté et d’utilité.

On peut voir l’histoire de la gratuité comme un plaidoyer pour la liberté des langues et des mathématiques. Les considérer essentiellement comme des outils nécessaires leur fait autant de tort que de restreindre les sciences à l’application des formes, des techniques et des théories langagières et mathématiques.

Le lycée Ermesinde se concentre beaucoup sur les causes écologiques et économiques de notre temps. Les branches interdisciplinaires et une grande partie des travaux personnels et des mémoires y sont consacrées. Les grandes problématiques auxquelles nous sommes confrontées aujourd’hui risquent de coûter chers à nos enfants.

Ce n’est pourtant pas une raison de s’éloigner des occupations gratuites que l’homme a toujours pratiquées en parallèle, tout au contraire. Considérons les langues et les mathématiques comme un espace de liberté, comme une réserve, un privilège, dont tout le monde devrait pouvoir profiter, un espace de rêves, d’histoires et d’histoire, de curiosités et de problèmes amusants.

Ce qui est gratuit a de la valeur, une valeur autre que les grands défis de notre temps. Or il serait désastreux de vouloir en privilégier l’une ou l’autre. La beauté et l’utilité, l’art et l’industrie, le loisir et le négoce, comme disaient les Anciens, sont également vitaux, dans la vie comme dans l’éducation. Entre la légèreté et la lourdeur, entre le rêve et la réalité, entre le jeu et l’affaire, il ne faut pas choisir.

Mais s’il fallait malgré tout prendre position et faire pencher la balance, je la ferais pencher vers la beauté, cette jouissance et cette générosité, seule capable de nous donner la force et la hauteur, pour ne pas dire l’insouciance et la naïveté, pour apprivoiser la réalité.

 

#lemotdudirecteur

Le mot du directeur : Recherche

Comme l’« orientation » et les « compétences », la « recherche » est devenue un terme commun dans le jargon de l’éducation. Il y a quelques années, ce terme était surtout réservé aux chercheurs scientifiques, cloîtrés dans leurs laboratoires, universitaires ou privés, appliqués à déchiffrer la vie et l’univers et à développer de nouveaux produits ou de nouvelles théories. On distinguait tout au plus la recherche fondamentale et la recherche appliquée, mais le terme de recherche ne dépassait guère les sciences naturelles et les sciences théoriques.

Aujourd’hui, pour trouver l’horaire d’un bus, on fait une recherche sur internet. Dans les écoles, les élèves se rendent à la bibliothèque pour faire des recherches en groupe. Le développement de l’informatique y est sans doute pour quelque chose dans la vulgarisation du terme, mais aussi dans son appauvrissement. S’il est évidemment légitime de l’appliquer à toutes les sciences et à tous les arts, il est abusif de l’utiliser pour donner à des actions ponctuelles une importance qu’elles ne méritent pas.

Pour faire bref, ces actions de recherche sont très souvent incroyablement banales et superficielles. Mais il y a pire. La généralisation et l’exaltation de l’informatique ont aussi contribué à une individualisation et une désocialisation des actions d’investigation qu’on peut attendre d’une classe par exemple. Plus la ruée vers les ordinateurs est immédiate, plus les résultats sont piteux.

Au lycée Ermesinde, dans les branches interdisciplinaires, il est essentiel de bien cerner collectivement les questions qui se posent, d’organiser ensemble l’enquête, de bien définir les missions des élèves engagés, mais aussi et surtout de commencer par mettre sur table les connaissances, les expériences et les positions présentes. Tout commence par l’échange, par l’écoute, par la mise en commun, par l’état des lieux, par l’organisation du savoir collectif. Réaliser à quel point l’échange, la concertation et la collaboration sont les véritables moteurs de la recherche est une expérience cruciale. Ne laissons ni l’informatique ni quelque méthode pédagogique que ce soit nous détourner des ressources humaines que nous constituons, avec nos amis et nos relations. La recherche en devient infiniment plus excitante et plus efficace.

 

Le mot du directeur : Discipline

Depuis dix-sept ans, de nombreux visiteurs ont passé quelques jours au lycée Ermesinde pour un stage, une candidature, par intérêt, par curiosité. Nous avons coutume de leur donner rendez-vous à la fin de leur séjour pour entendre leurs impressions. Il est marquant de constater que les observations relevées lors de ces rendez-vous étaient et sont pratiquement toujours les mêmes : la participation, la maturité, le bon accueil et la bonne entente. Toutes ces qualités se laissent peut-être résumer par le terme de discipline, au sens moderne et au sens classique du mot, disciplina, qui signifie en premier lieu, selon Gaffiot, « action d’apprendre, de chercher l’instruction ». Il faut croire en effet, puisque les visiteurs s’en étonnent assez pour le relever toujours, que la discipline, c’est-à-dire l’action d’apprendre ces qualités culturelles et relationnelles, ces bonnes manières en quelque sorte, ne va pas de soi et que la vie au lycée Ermesinde contribue grandement à l’installer.

Nombreuses sont les raisons qu’on pourrait mettre en avant pour expliquer ce phénomène. Je voudrais en relever deux : la proximité et la différence.

Le lycée Ermesinde est organisé en maisons et en entreprises. Ce sont de petites structures où les élèves et le personnel se côtoient en nombre restreint. Tout le monde a ses appartenances : les enseignants ont leur maison, les spécialistes ont leur entreprise et les élèves ont leur maison et leur entreprise (éventuellement deux). Dans ces deux structures, on mise sur l’échange, notamment par le biais des engagements et des productions.

Dans les maisons, les cours vivent de la différence des élèves, de la différence de leurs projets personnels, de leurs talents, de leurs intérêts, de leurs histoires. Dans les branches interdisciplinaires, toutes les recherches commencent et se nourissent par les connaissances et expériences variées des élèves. Les élèves et les adultes apprennent à connaître et à réaliser l’incroyable diversité de tout ordre qui existe parmi nous, à l’apprécier, s’en féliciter et à s’en enrichir. Cela marche d’autant mieux au fur et à mesure que les élèves apprennent ainsi à se connaître et à se respecter. Les relations sociales sont aidées par ces habitudes et un climat d’amitié et de sécurité peut s’installer.

Quant aux entreprises, elles rassemblent des élèves de différents âges, unis par des intérêts communs, mais à des stades de perfectionnement différents. Devant les tâches à accomplir dans l’entreprise, devant les délais à respecter, devant la relève à assurer, il y a des nécessités qui s’installent, celles de l’échange, de la concertation, de la transmission. La différence d’âge fait bien les choses, par des exemples à suivre, par des responsabilités, par toute une auto-régulation qui ne laisse guère de place à … l’indiscipline.

Il y a lieu de penser que le lycée Ermesinde montre bien que la discipline, plutôt que d’être une histoire de règles, de lois et de programmes, est une histoire de diversité, de relations et de contenus. #le mot du directeur

Le mot du directeur : Compétence

Il y a des mots vénérables qu’on devrait s’interdire d’utiliser à tout escient. Cela fait des années que le terme de compétence est employé à toutes les sauces dans l’éducation. Les programmes ne sont plus faits de contenus, mais de compétences. Les objectifs d’apprentissage sont décomposés en micro-étapes s’étalant sur des années et des années et détaillés en un flot de « compétences » remplissant des centaines de pages et de listes dans les plans d’études. Chacune de ces innombrables compétences fait l’objet d’une description officielle, ainsi que d’un enseignement et d’une évaluation explicites, apparaissant dans les manuels, dans les devoirs et sur les bulletins. On se demande comment les enseignants et les parents arrivent encore à s’en sortir devant cette inflation de descripteurs et d’indicateurs abstraits.

Il est curieux de constater que toute cette industrie de compétences se situe plutôt aux antipodes de la signification originelle du terme. En principe, une compétence désigne en effet quelque chose de beaucoup plus grand, une autorité, une qualité, un pouvoir global résultant d’une somme de connaissances et d’expériences et conférant à son détenteur une expertise et un statut dignes de confiance. Il s’y ajoute que la compétence d’une personne se rapporte généralement à un domaine particulier, à savoir le domaine qu’elle a visé et cherché à atteindre (lat. petere), au même titre que les autres représentants de ce domaine (lat. com-petere).

La compétence et son acquisition ont finalement une nature organique. En évoluant longuement dans une spécialité, on finit par acquérir le savoir, la culture, la souveraineté qui en distingue les dignes représentants. La compétence relève de la pratique et de l’implicite. On l’acquiert après avoir évolué longuement dans une spécialité et dans un milieu.

Une compétence ne me semble guère pouvoir être atteinte de manière systématique. C’est plutôt à force de côtoyer une matière et de fréquenter un milieu qu’on apprend implicitement les ficelles du métier et qu’on est finalement capable, à l’instar du pianiste ou de l’organiste, d’interpréter et d’improviser.

On peut s’étonner comment cette manie de décomposer les savoirs en des compétences qui ne méritent pas le nom a pu se développer. Le lycée Ermesinde entend résister quelque peu à cette vague, en se portant, paradoxalement, défenseur de la compétence dans le sens profond du terme, afin que la qualité ne sombre pas dans la quantité. #Le mot du directeur

Le mot du directeur : Centre

« L’élève au centre » est devenu le mot d’ordre de toutes les politiques d’éducation modernes. Des slogans comme « de Schüler do ofhuelen wou en ass » reflètent une volonté d’assister l’élève le plus étroitement et le plus individuellement possible dans son apprentissage. Des structures et des postes en grand nombre ont été créés pour se plier le mieux possible aux besoins de chaque enfant.

Cette manière de procéder comporte cependant deux problématiques majeures. Tout d’abord, elle met le poids sur les faiblesses. Les initiatives, les mesures et les institutions qui ont foisonné ces dernières années visent presque toutes à refaire des retards, à rattraper des lacunes, à compenser des troubles d’apprentissage, à satisfaire des besoins spécifiques. Rares sont celles qui s’intéressent à développer des capacités particulières au-delà et en dehors des programmes, indépendamment de quelque trouble ou difficulté particulière. Les programmes en tant que tels sont évidemment à l’origine de cette problématique. Tant qu’on évalue le niveau des élèves par la distance qui les sépare du programme, on est dans une logique verticale où les forts sont ceux qui sont proches du programme et les faibles ceux qui en sont loin et qu’il faut en rapprocher. En se rendant compte que dans la même logique les programmes se bornent à ce qui se laisse le mieux définir et le mieux mesurer – en gros le calcul et l’orthographe – on a une idée de l’étroitesse de ce monde.

La deuxième problématique est la suivante : mettre l’élève au centre ne l’enferme pas seulement dans les faiblesses et dans les programmes, mais aussi dans lui-même. Toutes les aides ne visent finalement que son propre avancement, sa propre carrière, sa propre réussite, sa propre conformité. Tous ces éducateurs appliqués à s’occuper de l’intérêt de chaque élève, ne serait-il pas temps qu’ils s’occupent de l’intérêt de nous tous ?

Au lieu de pousser les élèves dans la course aux programmes, au lieu de les plaquer sur des questions dont tout le monde connaît la réponse, ne feraient-ils pas mieux d’attendre et d’exiger des jeunes gens qu’ils se saisissent des questions du monde présent, complexe et incertain, et qu’ils essaient de trouver des réponses nouvelles, meilleures que celles que nous avons trouvées et que nous appliquons toujours ?

Que faut-il encore pour que le monde de l’éducation comprenne que le temps presse, que le monde doit évoluer urgemment, l’économie, la politique, la science, la culture, parce que les règles actuelles ne sont plus les bonnes et qu’il devient absurde et dangereux de les perpétuer ? Au lieu de l’élève, il faut mettre le monde au centre des préoccupations, d’abord les autres, la classe, la communauté, la société, l’espèce humaine, la nature, l’avenir. L’élève devient acteur, non plus seulement de son propre apprentissage, mais du monde. Il apprend non plus seulement pour lui-même, mais pour contribuer à la bonne marche du monde, au bien-être général. S’engager devient une nécessité, une mission, une chance, un honneur. Cette perspective le transforme et le forme, c’est la communion de l’intérêt individuel et de l’intérêt collectif.

Le mot du directeur : Diversité

Au lycée Ermesinde, il est coutume d’attendre de la part des élèves et des groupements d’élèves des résultats probants.
Cela est bien visible et bien connu au niveau des entreprises qui ne cessent de gâter la communauté et le grand public par des performances exceptionnelles de toutes formes, culinaires, culturelles, littéraires, artisanales, artistiques, etc.
Cela est moins visible et moins connu au niveau des branches autour desquelles se réunissent les classes dans les maisons.
C’est surtout moins attendu du côté des cours qui traditionnellement servent avant tout à la transmission. Qui dit transmission n’est pas dans l’originalité, pas dans la création. La classe se réunit pour apprendre sans pour autant créer quelque plus-value que ce soit qui mériterait d’être communiquée vers l’extérieur. L’enseignant attend idéalement que la classe tire profit de son cours, à savoir le plus d’élèves possible, indépendamment l’un de l’autre.
Dans cette façon de considérer les choses, la classe apparaît comme récepteur. Il y a des élèves qui reçoivent plus ou moins bien, des classes qui reçoivent plus ou moins bien, parce que composées d’élèves recevant plus ou moins bien.
Ce mode de fonctionnement relève d’une erreur fondamentale, consistant à supposer que les jeunes gens demandent à recevoir plutôt qu’à donner.
Au lycée Ermesinde, dans les branches interdisciplinaires notamment, on attend des élèves qu’ils fournissent et qu’ils partagent leurs connaissances, leurs recherches, leurs expériences, leurs réflexions et leurs appréciations. La classe, loin d’être l’entonnoir, est la source.
Il serait scandaleux de passer à côté de la richesse d’une classe, de sa diversité de savoirs, de provenances et de personnalités.
Dans les branches interdisciplinaires, le lycée Ermesinde attend des classes qu’elles se prononcent sur une question précise en liaison avec une grande thématique du moment, comme l’habitation, l’habillement, l’alimentation, la santé, l’argent, etc. Le lycée Ermesinde attend de ses enseignants de s’intéresser au savoir et à l’expérience des élèves, de les faire parler, rechercher, réfléchir et coopérer. Cet exercice profite d’autant mieux à chaque élève qu’il est collectif. Il suffit d’attendre de tout le monde qu’il contribue d’une façon aussi engagée que personnelle pour que le cours aille de surprise en surprise et fasse émerger, par émulation d’idées, des contenus importants, méritant d’être partagés.

Le mot du directeur : Entreprises

Les prouesses de nos entreprises ne sont plus à démontrer. Les niveaux de performance atteints dans les productions, les services et les spectacles dépassent très souvent toute attente. Comment est-ce possible ?

Le lycée Ermesinde n’est pas une école au sens commun du terme, composé essentiellement de cours assurés par des enseignants selon des programmes bien définis. Dans la scolarité des élèves du lycée Ermesinde, les cours ne viennent qu’en troisième lieu, après les travaux personnels et les entreprises. Qu’est-ce qui peut justifier une telle hiérarchie ?

Notre civilisation a fini par miser sur l’enseignement scolaire pour essayer de garantir le minimum de culture qu’elle veut conférer à chaque citoyen. Malheureusement, cette politique du minimum n’a cessé de s’allonger au cours des dernières décennies. Or il est important à nos yeux de mener auprès de l’enfance et de la jeunesse non seulement une politique de l’obligation, de l’offre et du minimum, mais aussi au contraire une politique de l’engagement, de la demande et du maximum.

Par rapport aux élèves, nos entreprises sont essentiellement dans la demande. Nous exigeons de nos élèves de s’engager dans une entreprise correspondant à leurs capacités, à leurs intérêts et à leurs ambitions. Nous demandons d’un autre côté aux entreprises de recruter les élèves les plus utiles et les plus capables afin de pouvoir disposer d’un personnel performant. Les élèves tirent de cette politique le plus grand bénéfice, car la motivation et la performance viennent avec l’excellence et l’utilité collective de leur travail. Grandir dans une entreprise, être initié par des élèves expérimentés et atteindre petit à petit des compétences de plus en plus profitables, apparaît comme un défi, un devoir et un honneur.

En comparant les entreprises avec les cours, la demande l’emporte finalement sur l’offre. Le moteur se situe clairement du côté des entreprises, tandis que les cours constituent plutôt des moments de détente, de recul et de réflexion, conformément au sens originel du terme skhole signifiant temps libre, loisir.

Dès lors un certain équilibre peut s’installer, entre cours et entreprises, entre recul et action, entre théorie et pratique. L’avantage restera cependant toujours du côté des entreprises. Parmi la panoplie d’entreprises, il est probable que chaque élève trouve son bonheur dans l’une d’elles. La théorie peut dès lors venir se greffer sur un substrat personnel et durable. Ainsi les entreprises fondent les cours, et non pas l’inverse.

Le mot du directeur : Portes ouvertes

Après deux ans de pandémie, le lycée Ermesinde a rouvert sa porte au public le samedi 19 mars. Un nouveau record d’affluence a été battu : plus de 1200 visiteurs. Une fois de plus, le public fut accueilli par de très nombreux élèves : 300, postés à l’accueil, dans les maisons et dans les entreprises. Ainsi la moitié de tous les élèves se faisaient un honneur d’accueillir les nombreuses familles attirées par la philosophie du lycée Ermesinde. Qu’ils en soient félicités et remerciés !

 

Les conférences donnèrent une fois de plus l’occasion de remonter aux origines du lycée Ermesinde, de remémorer les états de fait qui avaient poussé les fondateurs de l’école à réagir et à concevoir une alternative. Ils sont essentiellement au nombre de trois : l’acharnement sur les faiblesses, l’isolement des élèves et des professeurs, ainsi que la prédominance de l’apprentissage explicite.

 

Il y avait tout d’abord ce fameux paradoxe qui fait que l’école conventionnelle se tourne vers les faiblesses plutôt que vers les forces. Plus un élève est bon en mathématiques, moins il a d’efforts à fournir en mathématiques. Tout ce qu’on attend des élèves consiste à ce qu’ils maîtrisent un programme, tous le même, fait pour tous, donc pas très exigeant, un jeu d’enfant pour les enfants doués dans une matière donnée. Si par contre l’élève a du mal à remplir les exigences minimales dans une branche, tout va rapidement tourner autour de cette branche. Des moyens considérables sont investis pour remédier à la faiblesse révélée dans cette branche particulière. Il s’ensuit souvent un véritable acharnement pédagogique voire thérapeutique qui hélas mènent le plus souvent à de biens piètres résultats. Pendant ce temps, les forces de l’élève restent en jachère. Il va de soi que cette école-là, sacrifiant les forces sur l’autel de l’égalité, ne pratique pas une orientation positive. Le lycée Ermesinde au contraire se tourne résolument vers les capacités et les intérêts de l’élève, dans le but d’édifier un projet personnel réaliste et efficace sur des bases solides.

 

Il y avait ensuite la solitude que l’on peut observer dans l’école conventionnelle chez les élèves aussi bien que chez les professeurs. Les élèves se retrouvent seuls dans les devoirs en classe et devant leurs devoirs à domicile. Les professeurs passent la majeure partie de leur temps de travail seuls à leur domicile à préparer leurs cours et à corriger les devoirs des élèves. Or la solitude n’est pas l’ami de l’apprentissage. La pénibilité, la soumission et l’angoisse ne favorisent pas l’apprentissage, tout au contraire, elles s’y opposent. Au lycée Ermesinde, les exigences sont très souvent sociales. Les différents contextes de travail amènent les élèves à partager, à communiquer, à expliquer, à présenter, à écouter, à parler, à argumenter. L’aisance, la gentillesse et l’éloquence des élèves visibles à la porte ouverte en sont les résultats évidents.

 

Dans les maisons et dans les entreprises, mais aussi dans les travaux personnels et mémoires passionnés, l’apprentissage est en grande partie implicite, et d’autant plus efficace. C’est la troisième grande critique ayant été à l’origine de la création du lycée Ermesinde : la réduction de l’école conventionnelle à l’apprentissage explicite, plus particulièrement aux compétences techniques, scripturales et reproductives. Le lycée Ermesinde privilégie au contraire le travail engagé portant sur des questions et des contenus d’importance correspondant à des enjeux concrets et réels. Bien des connaissances, des compétences et des techniques y sont apprises et assimilées de manière implicite et durable, comme le prouvent chaque année les excellents résultats des élèves du lycée Ermesinde à l’examen de fin d’études.

 

Dix-sept ans après sa fondation, ces trois critiques restent d’actualité et le lycée Ermesinde constitue toujours une alternative utile et recherchée.

Le mot du directeur : Entreprise

Une grande différence entre les cours et les unités d’entreprise consiste à ce qu’un élève ne peut être exclu durablement d’un cours alors qu’il peut être exclu de l’entreprise. Si un élève ne fait pas ses preuves dans l’entreprise, que ce soit par manque de talent ou par manque d’engagement, il n’y a pas sa place, car il heurte les intérêts de l’entreprise et donc ses propres intérêts. Il est alors du devoir éducatif du spécialiste de le virer, afin qu’il ne perde pas son temps ni le temps des autres et qu’il ait le temps de continuer à chercher « sa place » autre part. Il est essentiel que le jeune ait l’occasion d’apprendre dans le cadre protégé que constitue l’école l’importance d’être « à sa place ». Au lycée Ermesinde, si un élève n’a pas sa place dans une entreprise, des structures existent pour aider l’élève à trouver une entreprise qui lui convient mieux. Plus tard, une mauvaise orientation risque de lui coûter beaucoup plus cher. C’est une dimension des entreprises qu’il ne faut pas négliger : faire de la motivation et du talent de leur personnel une nécessité.

Le mot du directeur : Santé mentale

C’est une expression qui circule et c’est tant mieux. A force de l’entendre mise en relation avec la pandémie, n’oublions pas l’influence de l’école sur le bien-être mental. N’oublions pas que l’angoisse quotidienne générée par l’école peut être considérable.

La mission de l’école évolue. Il fut un temps où elle était censée libérer et protéger les enfants des travaux sur les champs ou dans les usines, les mettre à l’abri des corvées et des punitions. Si le but de l’école se bornait souvent à apprendre à lire, à écrire et à calculer, il y avait aussi des moments et des lieux où elle allait beaucoup plus loin, dans la culture, la philosophie, la littérature, l’art.

 

Aujourd’hui, la culture générale reste officiellement rattachée à l’école, tout comme la transmission des valeurs, mais qu’en est-il vraiment ? L’école n’est-elle pas avant tout un moyen de sélection ? Les contenus sont ce qu’ils sont, mais a-t-on vraiment le loisir à l’école de s’y adonner librement, d’approfondir, de réfléchir, de discuter, d’apprécier, de contempler, bref de se cultiver ? L’évaluation ne prend-elle pas toute la place ? Pour se cultiver, il faut un sentiment de sécurité et de confiance, autrement dit de l’amitié, de la bienveillance, de l’échange, de l’écoute. Or comment imaginer cela sous le regard permanent des enseignants chargés de juger, de comparer, de classer ? Comment l’évaluation constante pourrait-elle ne pas générer de l’angoisse et une pression mentale croissante ?

 

En matière de santé mentale, il ne faudra pas se tromper de combat. N’oublions pas l’école, ce qu’elle est devenue, ce que l’économie, la politique, la société, notre civilisation en ont fait.

 

Les moyens du lycée Ermesinde pour mettre les élèves à l’abri de l’évaluation permanente sont limités mais réels. Un moyen nouveau destiné à rendre les élèves disponibles à la culture et à l’apprentissage a été discrètement introduit cette année, le 1 décembre. Une lettre a été adressée aux parents et élèves du cycle inférieur avec l’explication suivante : « Nous avons pris cette année l’initiative de « mettre à l’abri » d’un « problématique » sur le bulletin dès le mois de décembre respectivement le mois de mai les élèves dans toutes les branches où l’enseignant estime que de toute évidence l’élève ne court pas de risque à long terme de rencontrer des problèmes majeurs dans son régime d’enseignement actuel. Ainsi, votre enfant n’aura pas de « problématique » sur le bulletin du premier semestre sauf, éventuellement, dans les branches suivantes. » Aucune branche n’a été signalée pour une majorité d’élèves et une seule branche pour un tiers. Espérons que cette nouvelle mesure allège encore un peu la charge mentale de nos élèves afin de leur permettre de mieux travailler et de mieux se cultiver.

Le mot du directeur : Examen de fin d’études secondaires

Examen de fin d’études au LEM : 93% réussite, 27% « excellent », 29% « très bien », 25% « bien »

La réussite d’une école ne se limite certainement pas à l’examen de fin d’études. Les élèves du lycée Ermesinde ont certainement d’autres atouts à faire valoir à l’université et dans la vie professionnelle et sociale. D’un autre côté, le lycée Ermesinde a toujours considéré le BAC national comme un passage et un ticket utile et nécessaire pour entrer sans problème à l’université. C’est pourquoi il avait résisté à l’époque à l’envie de certains de voir un BAC novateur éclore au lycée Ermesinde.

 

Les résultats de cette année sont sans appel : le lycée Ermesinde compte bel et bien parmi les lycées les plus performants du Luxembourg. Notre réussite s’élève à 93%, contre 85% au niveau national. Mais c’est surtout du côté des mentions que le lycée Ermesinde fait la différence : 27% de mentions « excellent » (plus de 52 de moyenne sur 60) contre 11% au niveau national, auxquels s’ajoutent 29% de « très bien » et 25% de « bien ».

Pour une école axée sur les forces, l’orientation et l’excellence, le contrat est rempli.

 

En fin de compte, les élèves sortent du lycée Ermesinde dotés d’une expérience de 6 ans en recherche (travaux personnels et mémoires), d’une expérience de 7 ans en entreprise (8 heures par semaine) et d’un résultat au BAC supérieure à la moyenne nationale.

Le lycée Ermesinde a tendance à exiger davantage de ses élèves que les autres lycées, à commencer par leur domaine d’excellence.

D’un autre côté, il commence sa préparation explicite au BAC en classe de 2e seulement.

Durant les 5 années précédentes, il n’est pas promotionnel, il n’opère pas avec des notes, pas avec des moyennes, pas avec des devoirs en classe standardisés, pas avec des programmes prédéfinis et avec moins de cours.

Et pourtant le système national continue à croire à la numérisation et à la quantification dans tous les domaines, car il continue à investir dans les critères, dans les programmes et dans toutes sortes de testings.

Le mot du directeur : Choix

Peut-on vouloir trop d’orientation ?
Entre l’embarras du choix, le paradoxe du choix ou trop de choix tue le choix, les expressions ne manquent pas pour pointer la quantité qui nous hante et qui nous harcèle un peu partout dans nos sociétés de consommation baignées dans l’illusion que tout est et doit toujours rester encore possible pour tout le monde.L’orientation des jeunes n’échappe pas à la règle. Revendiquer le droit de découvrir et d’explorer tous les possibles avant de choisir sa spécialisation est devenu monnaie courante parmi les parents mais aussi les professionnels. L’orientation est la marque de fabrique du lycée Ermesinde. Mais plutôt que de se perdre dans une exploration tous azimuts, le lycée Ermesinde mise sur une orientation de qualité qui ne se réduit pas aux contenus, mais qui touche à l’attitude, à l’engagement et à l’envie. On dit que l’appétit vient en mangeant. C’est une formule qui n’est pas dénuée de sens dans l’orientation. On ne peut pas tout vouloir découvrir avant de choisir. Plutôt que de tout voir, il s’agit de bien faire. Le choix que l’élève effectue au lycée Ermesinde dès son arrivée (projet personnel, entreprise, travail personnel, branches d’engagement) implique une immersion dans des champs et des groupes d’intérêt pour un semestre au minimum. Au cours de cette période, l’élève apprend à coopérer, à convaincre, à vendre, à négocier, à connaître les plaisirs et les contraintes d’une production, les défis et l’efficacité de la transmission entre pairs, ainsi que la satisfaction qui découle d’un travail bien fait ainsi que du contentement d’un public ou d’une clientèle. Autrement dit, il acquiert, indépendamment des contenus, des compétences universelles et transversales d’une grande utilité. Le temps ne permet pas de s’immerger dans un grand nombre de spécialités. Faut-il s’en plaindre ? L’élève finira par s’orienter vers un chemin qui s’est dessiné au fil des choix, des opportunités, des expériences, des sensations intermédiaires. Va-t-il se frustrer de ne pas encore avoir pu découvrir tous les possibles ? Il faut espérer au contraire qu’il franchisse allégrement la porte qui s’est ouverte, en pensant qu’elle s’est ouverte par chance, plutôt que par hasard. L’orientation en devient presque une affaire de destin, un destin que l’élève saura d’autant mieux embrasser qu’il aura connu dans ses expériences préalables la qualité plutôt que la quantité.

Le mot du directeur : Education

Le terme vient du latin : e-ducere, ex ducere, conduire hors de. Hors de quoi ? Conduire hors de quoi ? Hors de l’enfance, vers l’âge adulte, vers la maturité, la participation, l’influence ? En effet, l’enfant veut avoir son mot à dire, très tôt et avec force. Encore faut-il ne pas laisser parler et agir l’enfant dans le vide. Pour se développer, l’enfant a besoin de résistance. Pour gagner en influence, l’enfant doit pouvoir se mesurer. A quoi et à qui ? Toutes les idées qui sortent de la bouche des enfants ne sont pas bonnes. Il serait absurde de les adopter toutes sous prétexte qu’il faille respecter la parole de l’enfant. Ce serait lui manquer de respect, car cela ne lui permettrait pas de grandir, et malhonnête de surcroît. Se mesurer à quoi et à qui ? A ce qu’il n’a pas encore et à ce qu’il n’est pas encore. Si l’enfant n’a pas encore les arguments, il faut lui opposer des .. arguments. S’il n’a pas encore les connaissances, il faut lui opposer des connaissances. S’il n’a pas encore l’expérience, il faut lui opposer de l’expérience. Non pas pour le rendre petit, mais pour le rendre grand. Est-ce que pour autant pour éduquer un enfant il suffit de lui donner un exemple fort, un maître savant, une autorité ? L’histoire de l’école a montré que tel n’est pas forcément le cas. Mais l’histoire moderne n’est-elle pas en train de montrer que le contraire ne fait pas mieux ? Il faut éviter que l’école tombe d’un extrême dans l’autre. Entre opposer à l’enfant une autorité toute savante et toute puissante, d’une part, et le placer sur un piédestal et se plier à sa parole sous quelque prétexte pédagogique ou démocratique, d’autre part, il doit y avoir un juste milieu. La plus simple manière d’é-lever un enfant consiste peut-être à ne pas le traiter spécialement comme un enfant, à oublier sciemment qu’il ne peut en principe déjà avoir toute la maturité, la connaissance, l’expérience, peut-être aussi l’ironie, qu’on lui suppose pourtant délibérément dans l’échange. Il s’accomplit alors souvent une sorte de self-fulfilling prophecy dans le sens où l’enfant met à jour spontanément des capacités surprenantes simplement parce qu’on échange avec lui comme s’il avait précisément toutes ces compétences. E-duquer un enfant revient finalement à exiger de lui la même qualité dans le travail et dans l’échange qu’on veut bien y investir soi-même. Comme souvent, les extrêmes se rejoignent. Laisser toute la place ne vaut pas mieux que prendre toute la place. Les deux cas de figure isolent l’enfant. Il est dans la nature de l’enfant de chercher sa place mais il n’a que faire d’une place dont il constitue le centre. Si toute la place est prise, il est isolé. S’il occupe, lui, toute la place, il n’est pas moins isolé. Dans le premier cas, on l’écarte, dans le deuxième, on s’écarte. La nécessité est le meilleur é-ducateur. La nécessité que peut installer l’école consiste à attendre dès le début de la part des enfants la qualité dont on voudrait bien qu’ils soient capables à la fin. Il faut pour cela que l’école soit une place de qualité, un bain de culture où les enfants apprennent à nager par le simple fait que telle est l’exigence, ou, mieux encore, la normalité.

Le mot du directeur : Orientation

Non, tout le monde n’a ni le talent ni l’envie d’aller à l’université. Les dispositions des jeunes gens sont heureusement infiniment plus variées. Elles l’ont toujours été et elles le seront toujours. Tel l’a toujours voulu la nature humaine et tel l’a toujours voulu l’économie. Tel le veut toujours la nature humaine, mais tel ne le veut plus l’économie, apparemment. La délocalisation, la tertiarisation et la technologisation ont porté un vilain coup aux secteurs de l’agriculture, de l’industrie et de l’artisanat. L’économie ? La mondialisation a certainement une part d’inévitable, mais la politique et la société ne sont évidemment pas si impuissantes et innocentes que cela. Face à la diversité naturelle des talents humains, la hiérarchisation des métiers et des formations et la monoculture scolaire et professionnelle sont des scandales.

Le lycée Ermesinde est structuré de manière à garantir l’orientation la plus large et la plus honnête possible. Dans cette démarche, ce n’est pas l’économie qui constitue la plus grande résistance. Le marché du travail moderne n’est pas si désespérant que cela. Des productions ont été relocalisées. Les marchés locaux refleurissent. L’entrepreneuriat est revigoré. Par ailleurs, tous les diplômes universitaires ne tiennent pas toujours toutes les promesses que les jeunes gens et leurs parents y associent.

Au lycée Ermesinde, le tutorat et les maisons permettent dans une certaine mesure de contrer les préjugés et d’empêcher l’orientation négative par exclusion telle qu’elle est malheureusement largement répandue. Il est vrai que, en raison notamment de sa taille humaine qu’il a voulu préserver, le lycée Ermesinde se limite au-delà du cycle inférieur à la préparation aux études universitaires. Tout est fait cependant pour ne pas enfermer les futurs étudiants trop tôt dans une bulle académique. Une part importante du personnel n’intervient pas dans un seul régime ni dans une seule branche et assure le tutorat d’élèves d’âges et de régimes différents, afin de garder une vue large sur les talents et sur les voies professionnelles. Dans les entreprises, le mélange d’âge et de régimes est inhérent et passe presque inaperçu, mais n’en pas moins essentiel. Dans les branches interdisciplinaires, les questions économiques, sociologiques et écologiques sont au cœur des réflexions dès la septième. Tout cela est hélas insuffisant pour libérer l’orientation de tous les aprioris préjudiciables. Il faut espérer que l’opinion publique et la politique finiront par donner meilleur crédit à tous les talents et à voir dans la diversité des vocations et des emplois une utilité et une nécessité économiques, sociales et humaines.

Le mot du directeur : Devoir

Notre société investit de plus en plus de moyens dans l’éducation. A les analyser de plus près, ces moyens se concentrent sur une multiplication de l’offre et de l’aide. Le nombre de disciplines, d’activités, de cours à option, de stages et de formations ne cesse d’augmenter, à l’école, autour de l’école et dans les loisirs. Jamais autant d’institutions d’accueil, d’encadrement, d’assistance et de loisir n’ont été créées que ces dernières années. On ne compte plus les mesures d’appui, de remédiation, de rattrapage, les assistances et aménagements de toutes sortes venus se greffer sur la vie scolaire et familiale de nos enfants. D’un autre côté, on entend plus que jamais parler de problèmes de concentration, de motivation, de discipline, de respect, d’attitude au travail, de compétences sociales ou d’autonomie.

L’évolution du lycée Ermesinde est quelque peu en déphasage avec ces tendances. Le mot d’ordre consistait dès le départ à miser sur les talents, les intérêts et les capacités les plus remarquables et les plus prometteurs des élèves. Le lycée Ermesinde se distingue par une communauté soudée et solidaire. L’exigence à laquelle chaque élève est soumis consiste essentiellement à ce qu’il contribue, pour le dire ainsi, à l’enrichissement global de cette communauté, tout comme il sera appelé plus tard à le faire dans l’intérêt de la société et de sa famille. Il est logique qu’il le fasse dans ce qu’il sait faire le mieux. Son propre intérêt, c’est-à-dire la réalisation de son projet personnel, rejoint l’intérêt collectif. L’élève livre cette contribution au niveau de son travail personnel, de son entreprise, de son engagement dans ses deux branches de prédilection et de sa participation aux travaux ayant lieu dans les autres cours. Pour le dire succinctement, le lycée Ermesinde se situe, vis-à-vis des élèves, dans la demande plutôt que dans l’offre. Il y a lieu de croire que c’est la raison essentielle de son succès. Les jeunes gens n’aspirent finalement qu’à cela, contribuer au monde, accéder à une position où ils peuvent se rendre utiles.

La qualité prend dans cette optique définitivement le dessus sur la quantité. Les élèves renforcent et approfondissent leurs connaissances dans les domaines qui correspondent à leur projet personnel. Ce faisant, ils acquièrent de l’expérience et de la culture générale, car il n’y a pas de meilleur moyen de découvrir la diversité et la complexité du monde que le travail en détail et en profondeur. Quant aux faiblesses, elles ne sont plus considérées que dans la mesure où elles pourraient empêcher l’élève de déployer ses forces et de livrer toutes les contributions dont il est capable dans le cadre de son projet personnel. Nombre des faiblesses les plus citées s’amenuisent par ailleurs au fil d’une carrière scolaire naturellement axée sur les talents des élèves. Il paraît évident que le traitement direct et explicite des faiblesses n’apporte pas toujours la même efficacité que l’apprentissage implicite induit par l’engagement dans une spécialité qui concentre les émotions et ambitions personnelles. Ainsi n’apprend-on pas le mieux à se concentrer là où on le fait par volonté et par nécessité, à parler là où on a quelque chose à dire, à écrire là où on a des connaissances et des raisons pour communiquer ?

Au lycée Ermesinde, l’offre et l’aide sont finalement supplantées par la demande et le… devoir. Il est vrai que cette vieille notion de devoir a pu prêter à des abus, mais il serait dommageable de s’en priver complètement, tant elle correspond sous une certaine forme exactement au besoin le plus évident des jeunes gens. Le devoir d’identifier au fond de soi-même ses propres ressources les plus utiles et de les mobiliser au profit d’une communauté, de son bien-être, de son enrichissement, y compris de son amusement et de son confort, ce devoir pourrait bien constituer le fond de commerce le plus cher de l’éducation et le meilleur gage de réussite de la jeunesse.

Le mot du directeur : Multilinguisme

Le multilinguisme constitue une part essentielle du patrimoine luxembourgeois. La maîtrise de trois langues internationales est un avantage certain sur le marché du travail et dans la vie sociale, culturelle et privée. C’est un privilège qui nous est envié dans le monde entier. Le lycée Ermesinde se fixe pour mission de préserver et de renforcer ce privilège, d’en faciliter l’accès et de l’étendre.
L’école ne facilite pas toujours l’apprentissage des langues. Elle a en effet tendance à recourir exclusivement et précocement à l’écrit et à des méthodes formelles. Or cela ne correspond pas aux aptitudes particulières dont jouissent les enfants. Il est bien connu que les enfants ont généralement des capacités spectaculaires à s’approprier une langue oralement, en apprenant à la comprendre puis à la parler. Les enfants mobilisent bien entendu cette capacité par nécessité plutôt que par volonté, par l’exemple plutôt que par l’instruction, de manière implicite plutôt que de manière séquentielle. Il en est de même de l’écrit. Là aussi, l’apprentissage est alourdi et ralenti par l’emploi exclusif d’une didactique technique et formelle ou d’un enseignement synchrone.

Le cours de grammaire n’en est pas moins utile et nécessaire, à condition qu’il consiste à perfectionner une langue installée préalablement et parallèlement dans des contextes moins artificiels. Au lycée Ermesinde, les entreprises et les travaux personnels fournissent de tels contextes, tout comme les travaux d’investigation ayant lieu dans les branches interdisciplinaires. Au lieu que la seule langue véhiculaire est l’allemand jusqu’en quatrième, le lycée Ermesinde installe l’allemand et le français en alternance dans toutes les branches dès la septième. Dans les entreprises et dans les travaux personnels, l’allemand, le français et l’anglais sont présents, en plus du luxembourgeois. L’anglais fait aussi l’objet d’un cours dès la septième. Le lycée Ermesinde donne en outre la possibilité d’apprendre le chinois, l’espagnol et le latin, également dès la septième.